Une médecine en perpétuelle évolution

Hahnemann, homéopathie : les deux noms sont indissolublement liés. Plus d’un siècle et demi après le décès du fondateur, l’homéopathie est bien vivante sur tout le globe.

Samuel HAHNEMANN

1830 : l’épidémie de choléra frappe l’Europe, semant la mort et la panique. Devant les symptômes de la maladie, Hahnemann recommande quatre remèdes principaux en fonction des stades de l’infection : le succès est retentissant !

C’est l’un des temps forts d’une existence digne d’un roman.

 

De la déception… à la similitude

Samuel Hahnemann naît le 10 avril 1755 à Meissen, petite ville de Saxe, célèbre pour ses porcelaines. Rapidement, il fait preuve de dons peu communs : outre de solides notions en arabe et hébreu, il maîtrise six langues (allemand, français, anglais, italien, latin et grec ancien). A vingt ans, Samuel part à Leipzig suivre des études de médecine. Il les finance en traduisant des ouvrages qu’il annote de remarques et de corrections ! Il soutient sa thèse en 1779 et se marie peu après avec Johanna Henriette.

Déçu par les résultats thérapeutiques obtenus, opposé aux traitements en vigueur (notamment purges et saignées), Hahnemann privilégie conseils d’hygiène et régimes. On est loin du jeune médecin plein d’avenir, tant sur le plan matériel qu’au niveau médical… Finalement, il cesse de donner des soins pour se consacrer à la chimie et à la traduction. Des migrations successives vont se faire, dans des conditions précaires, voire misérables.

En 1790, Samuel traduit la « Materia Medica » de William Cullen : son désaccord avec les arguments de l’auteur et les expériences qu’il mène sur lui-même, pousseront Hahnemann à poser les prémisses de la « loi de similitude ». Il va multiplier les expériences, sur lui et d’autres durant six ans.

Il expose à ses confrères son idée-maîtresse en 1796 : seule l’expérimentation sur l’homme sain permet de connaître les effets des médicaments. L’ouvrage s’intitule : « Essai sur un nouveau principe pour découvrir les vertus curatives des substances médicinales« .

L’année même où l’anglais Edward Jenner introduit la première vaccination (anti-variolique), Samuel baptise sa nouvelle méthode « homéopathie », des deux mots grecs, « semblable » et « souffrance ».

 

De la célébrité aux attaques

En 1803, la famille Hahnemann s’établit dans une autre ville de la Saxe, Torgau : elle y restera sept ans – un « record »- et y bénéficiera d’un certain confort.

La nouvelle médecine voit son succès croître. Samuel reprend ses publications, dont son livre majeur « l’Organon de l’Art de Guérir » (1810), où il précise les fondements théoriques et pratiques de sa méthode.

En 1811, Hahnemann revient à Leipzig : son but est d’y professer à l’Université et d’y diffuser son approche. Ses jeunes étudiants seront un fidèle soutien et se porteront volontaires pour expérimenter de nouvelles substances. Entre 1811 et 1821 Samuel publie les six volumes du « Traité de Matière Médicale Pure », consignant 67 expérimentations sur l’homme sain. En outre, sa renommée de médecin s’étend de plus en plus, d’autant qu’en 1813, une épidémie de typhus touche Leipzig : sur 180 patients atteints par cette pathologie infectieuse lourde, Samuel ne déplore que deux morts, s’attirant la haine des allopathes et des pharmaciens.

En effet, Hahnemann prône de très petites quantités de produits et, au mépris de la législation, délivre ses propres médicaments. Courant 1820, après une plainte de trois pharmaciens, Samuel est condamné à cesser sa distribution de remèdes.

Las de ces attaques constantes, Hahnemann quitte Leipzig pour Anhalt-Köthen : le duc, un de ses anciens patients guéri, lui offre d’être son médecin personnel. Samuel a 65 ans : est-ce l’heure de la retraite ? Ce serait mal connaître le personnage…

 

L’ermite de Köthen

Pouvoir travailler en paix, c’est ce que Samuel apprécie le plus dans ce bourg saxon de 6 000 âmes, où les villageois le surnomment « l’Ermite ».

Infatigable, il répartit son temps entre les consultations (avec libre prescription de ses médicaments), ses recherches et la rédaction de livres et d’articles.

Il affine « l’Organon », qui connaîtra cinq éditions de son vivant. En 1828, il fait paraître son deuxième grand ouvrage, « le Traité des Maladies Chroniques » : il y prend en compte les symptômes anciens, s’interroge sur les causes de rechute et l’origine des maladies.

La femme de Samuel meurt en 1830. La même année, venu d’Orient, le choléra sévit à nouveau en Europe. Devant l’extension de l’épidémie, ses élèves demandent conseil à Hahnemann en lui décrivant les symptômes de la maladie. « Le Maître », qui n’a jamais soigné ce type de pathologie, affirme que le choléra est contagieux, préconise isolement et désinfection, et recommande quatre remèdes principaux en fonction des stades de l’infection. Les résultats sont remarquables !

 

Köthen, 8 octobre 1834. Après les quinze jours de diligence que représente le voyage depuis Paris, la marquise Mélanie d’Hervilly se présente chez « l’Ermite ». Agée de 34 ans, artiste-peintre et poétesse renommée, elle est depuis toujours fascinée par la médecine. Mélanie a lu avec enthousiasme la traduction française de « l’Organon ». Une fois le livre refermé, une évidence s’impose à elle : seul Hahnemann peut la guérir de tous ses maux, elle fera le voyage !

Très rapidement, la rencontre ne se limite pas à un avis médical : le coup de foudre est mutuel. Dès le troisième jour, Samuel la demande en mariage et Mélanie accepte, pouvant à la fois l’admirer et l’aimer. Il l’épouse secrètement puis, devant l’hostilité de ses enfants, met le cap sur Paris.

 

 

La vie parisienne

En 1835, les consultations reprennent : Mélanie aide Samuel à tenir ses dossiers, tous écrits en français ; formée par son « grand homme », elle soigne gratuitement les pauvres.

La « bonne société » afflue, de même que des malades venus de l’Europe entière, comme l’écrivain Eugène Sue, le violoniste Niccolo Paganini… Avant neuf heures, les carrosses font la queue devant le cabinet.

Sans aucun doute, et son courrier le prouve, les années parisiennes sont les plus heureuses de l’existence de Samuel : il est respecté, enfin riche, et la passion demeure intacte entre les deux conjoints. Comme la vie est belle…

Jusqu’en avril 1843, où Samuel attrape froid : aucun des remèdes qu’il s’administre, ni ceux de Mélanie ou des confrères accourus en renfort n’y feront : le 2 juillet, le fondateur s’éteint paisiblement, à 88 ans. Il repose au cimetière du Père Lachaise, aux côtés de Mélanie, décédée en 1878.

Evolution depuis 200 ans

Limiter l’homéopathie à la destinée d’un homme serait une vue réductrice car, c’est l’une de ses forces, elle est présente sur les cinq continents et ce depuis très longtemps.

Voici la réponse que fit en 1835 le ministre de l’Instruction publique, François Guizot, aux opposants à la nouvelle doctrine : « Si l’homéopathie est une chimère ou un système sans valeur propre, elle tombera d’elle-même. Si elle est au contraire un progrès, elle se répandra malgré toutes nos mesures de préservations (…) ».

Un essor mondial

Au cours du 19è siècle, l’approche hahnemannienne se répand comme une traînée de poudre en Europe, mais aussi vers le « Nouveau Monde » (Canada, USA, Mexique) et la Russie. Elle atteint aussi l’Amérique du Sud (Brésil, Chili, Paraguay, Uruguay) et le continent asiatique (Chine, Inde).

Cette diffusion a de multiples raisons. La première est le formidable succès de l’homéopathie dans des maladies inguérissables par les moyens de l’époque. Ainsi, c’est à partir de guérisons spectaculaires que les propagateurs de cette nouvelle médecine se mobilisent. Tel le médecin allemand Boenninghausen, sauvé d’une tuberculose suppurée, ou le comte Sébastien Des Guidi qui, après la guérison de sa femme, orchestre une véritable « campagne publicitaire » auprès du corps médical.

D’autres facteurs interviennent également : pression des groupes sociaux, influence de la presse, succès face aux épidémies de choléra et de fièvre jaune, remèdes non toxiques et de faible coût, traduction de « l’Organon » dans chaque langue nationale…

L’extension de « l’Art de Guérir » va fluctuer selon les lieux et les périodes.

Ainsi, vers 1860, la France compte environ 400 homéopathes sur 15.000 à 18.000 médecins…

Aux U.S.A. au contraire, l’expansion est très forte. Elle est l’œuvre de Constantin Hering (1800-1880), chirurgien originaire de Saxe. Chargé de dénoncer l’hérésie homéopathique par le Pr Robbi, il fait des expérimentations de substances sur lui-même pour prouver leur inefficacité. Littéralement surpris des résultats, il devient un fervent adepte de l’homéopathie. Il publie une superbe encyclopédie de matière médicale en dix volumes et fonde une école qui formera plusieurs milliers d’homéopathes.

Parmi eux, une autre figure marquante aux Etats Unis, James Tyler Kent. Professeur d’anatomie à vingt-huit ans, il démissionne de toutes ses fonctions pour se consacrer à l’étude de l’homéopathie suite à la guérison spectaculaire de sa femme par un vieil homéopathe. En 1882, il reprend une chaire d’anatomie et une autre de chirurgie. Quelques années plus tard, il devient le doyen de l’école homéopathique de Philadelphie. Ses conférences et écrits sont encore d’actualité, et il est le premier à réaliser un répertoire de symptômes, outil de référence primordial pour l’homéopathe uniciste.

En 1900, le corps médical américain comptera 15% d’homéopathes.

Parmi les grands propagateurs de l’homéopathie, le français Benoît Mure.

Traité par Des Guidi pour une tuberculose pulmonaire, il va se muer en un véritable « missionnaire » : en 1837, il ouvre son premier dispensaire à Palerme, en Sicile.

En 1840, il part au Brésil : il y fera des pathogénésies de remèdes locaux et créera en huit ans vingt-deux dispensaires.

Après avoir effectué la même mission en Egypte, il revient à Gênes traiter l’épidémie de choléra : 8% de mortalité dans ses dispensaires, au lieu de 60% !

Benoît Mure repart en Egypte : il y meurt en 1858, après avoir écrit 2.000 articles en français, italien, portugais et arabe.

En Angleterre, l’homéopathie est accueillie par la famille royale. L’hôpital homéopathique fondé en 1849 deviendra l’actuel Royal Homeopathic Hospital sous l’impulsion du médecin de la Couronne, Sir John Weir. Au XXème siècle, l’école anglaise s’est distinguée avec James C. Burnett, John H.Clarke et Margaret Tyler.

L’apparition d’autres façons de pratiquer

 

« Il n’est, dans aucun cas nécessaire d’employer plus d’un médicament à la fois » précise Hahnemann dans son « Organon de l’Art de Guérir » (paragraphes 272 et 274 de la 5èmeédition). D’emblée, c’est ainsi que l’homéopathie est pratiquée majoritairement au niveau mondial.

En France, les homéopathes sont inspirés par les grands sémiologues de l’époque, comme Laennec et Trousseau.

Tout en restant dans une logique de similitude, ils mettent l’accent sur le tropisme physiopathologique des remèdes, réactualisent la conception de la maladie chronique d’Hahnemann (nommée alors diathèse) et prônent l’utilisation de remèdes draineurs.

Cette évolution de la pensée conduit alors à une spécificité française : la prescription simultanée de plusieurs remèdes, choisis suivant des critères précis.  L’homéopathie « à la française », devient ainsi « l’homéopathie pluraliste ». Sous l’égide de Léon Vannier, ce courant deviendra majoritaire en France et gagnera les pays voisins.

De même, apparait le complexisme. Il mélange, dans la même préparation, des produits dilués et dynamisés. C’est le cas de la majorité des spécialités pharmaceutiques : elles ciblent un organe ou un diagnostic.

Pluralisme et complexisme correspondent à deux autres modalités d’application de la loi de similitude. Elles diffèrent de la pratique uniciste dans laquelle un seul remède est prescrit à la fois, quel que soit le nombre des symptômes et des pathologies du patient… Si nécessaire, d’autres médicaments suivront, mais toujours l’un après l’autre.

Du déclin au renouveau

Dans la première moitié du XXème siècle, l’avènement d’une médecine plus scientifique s’accompagne du déclin de la pratique homéopathique, mais depuis les années 1950, on assiste à un nouvel essor. La perception des effets secondaires de l’allopathie, le coût des traitements modernes parfois mal adaptés aux maladies courantes bénignes, la prise de conscience écologique et l’évolution des idées quant à la prise en charge médicale ont fait croître la demande homéopathique.

Dans la plupart des pays, l’homéopathie retrouve de la vigueur, tout en restant majoritairement uniciste. En Amérique du Sud, par exemple, le mouvement homéopathique reste très dynamique. Il le doit à des personnalités comme Proceso S. Ortega (Mexique), Tomás P. Paschero (Argentine), Eugenio Candegabe (Argentine), Alfonso Masi-Elizalde (Argentine).

Dans les pays francophones, l’homéopathie pluraliste est alors de règle.

C’est un médecin genevois, Pierre Schmidt, élève d’un disciple de Kent, qui sera à l’origine d’un nouvel envol de l’homéopathie uniciste. Un grand nombre d’homéopathes français formés par lui diffuseront à leur tour en Europe les idées de Kent.

Parmi les acteurs de la renaissance de l’homéopathie classique, c’est-à-dire uniciste, citons les docteurs Georges Demangeat, Jacques Baur, René Casez.

En Allemagne : l’homéopathie n’a cessé de se développer et son enseignement est unifié pour tous les médecins. 6 500 homéopathes classiques sont membres de l’E.C.H (source ECH – les membres).

Un tour d’Europe montre que l’homéopathie s’est implantée et développée sitôt qu’un groupe de médecins en a acquis la connaissance. L’école Belge en est un exemple.

Ce dynamisme est toujours d’actualité. A ce titre, signalons que les électeurs suisses ont votés à une forte majorité son intégration dans le système de santé. L’homéopathie est intégrée au système de santé en Suisse depuis 2012 et est remboursée comme thérapie complémentaire.

De nos jours, l’homéopathie est présente dans le monde entier

Si ses principes de base n’ont pas changé, l’homéopathie a beaucoup progressé. Les techniques de prescription sont plus précises, de nouveaux remèdes sont expérimentés. Des courants de pensée font évoluer la connaissance des remèdes et la compréhension de la maladie dans la logique homéopathique. L’avancée scientifique permet de réactualiser et de mieux comprendre les données traditionnelles.

Des groupes de travail ou des écoles d’homéopathie uniciste se développent partout. Les idées circulent, les résultats thérapeutiques s’échangent en permanence d’une structure à l’autre. Le champ d’investigation de l’homéopathie est tellement vaste que, même si les fondateurs comme Hahnemann et Kent en ont fixé les bases méthodologiques, les générations successives d’unicistes continuent à en développer les différentes facettes.

Certaines personnalités ont été déterminantes dans l’évolution de la pensée et de la pratique actuelle, comme l’argentin Alfonso Masi. Des chercheurs homéopathes ouvrent sans cesse de nouveaux horizons. Citons Rajan Sankaran en Inde, George Vithoulkas en Grèce, Marc Brunson en Belgique, Philippe Servais en France, et tant d’autres qui apportent leur contribution à la compréhension de l’homéopathie.


La spécificité de l’INHF-Paris est de proposer une confluence des différents courants de l’homéopathie classique contemporaine

Ces différentes approches sont approfondies dans un autre chapitre de ce site. (Ecole de Formation/Recherche homéopathique/Concepts et réflexions)

Le monde homéopathique se regroupe autour de structures internationales telles que l’ »European Committee for Homeopathy » ou la « Liga Medicorum Homeopathica Internationalis« .

Elles représentent à la fois des vecteurs indispensables à la diffusion des nouvelles idées et un frein à toute dérive sectaire. Chaque courant de l’homéopathie contemporaine y est accueilli et peut y présenter ses travaux.

Des organismes humanitaires comme « Homéopathes Sans Frontières » animent des actions de formation et de soins dans les pays « en voie de développement ».

Sur les cinq continents, des individus ou des groupes de travail perpétuent la tradition homéopathique : médecine de l’expérience en continuel renouvellement, basée sur des fondements aussi rigoureux qu’immuables.

Après deux siècles d’existence, nous pouvons être sûrs que l’homéopathie n’est ni une simple mode, ni une vue de l’esprit. Quand une approche médicale traverse les siècles et résiste à l’épreuve du temps, c’est qu’elle possède des bases solides et réelles.